En français, Kabylie dérive de Kabyle, dont l'étymologie la plus courante fait une déformation de l'arabe qabā'il[10], pluriel de qabila (القبيلة), « tribu ». Au sens premier, les Kabyles seraient donc simplement les « gens des tribus ». Dans l'histoire précoloniale de l'Afrique du Nord, la tribu est la forme d'organisation sociale qui s'est maintenue contre ou malgré toutes les tentatives de soumission des États makhzen émergents[11]. Les officiers français, successeurs du makhzen turc, se sont d'abord servi du terme pour distinguer moins une ethnie ou une région précises qu'un type d'adversaire particulièrement opiniâtre : le montagnard. Mais le mot fut aussi employé pour désigner de façon plus spécifique les seuls montagnards berbérophones ou encore, en un sens plus général, tous les Berbères sédentaires, voire tous les sédentaires d'Afrique du Nord[12].
Initialement la dénomination Kabylie, au singulier ou au pluriel, était appliquée à toutes les régions peuplées de Kabyles, à tous les sens de ce terme, et avait donc la même élasticité que lui. Mais elle prit à partir du milieu du XIXe siècle une signification plus précise, pour être progressivement réservée à l'ensemble d'un seul tenant que forment les montagnes telliennes entre Alger et Constantine, autour des massifs du Djurdjura et des Babors[13]. Le mot Kabyle se vit à son tour redéfini pour ne plus s'appliquer qu'à la population habitant ou originaire de la région ainsi circonscrite, qui était encore presque entièrement berbérophone[14]. L'espace alors délimité sur cette double base géographique et humaine recoupe de nombreuses circonscriptions de l'Algérie contemporaine : la totalité des wilayas de Tizi-Ouzou (Tizzi Wezzu) et Béjaïa (Bgayet), une grande partie de celle de Bouira (Tubiret), une part aussi de celles de Boumerdès (Bumerdas), Bordj-Bou-Arreridj (Burdj Bu Arreridj), Sétif (Stif) et Jijel, ainsi que des marges de celles de Mila, Constantine (Qsemṭina) et Skikda.
Avec la progression de l'arabisation, l'usage tendit à faire sortir du périmètre d'application du terme les franges les plus arabisées de cette Kabylie « historique ». Chez les Kabyles des années 1950 déjà, le mot Aqbayli, bien que sans traduction territoriale rigoureuse, renvoyait grossièrement à l'espace compris entre Thenia à l'ouest, Sétif et Jijel à l'est[15]. Dans le même sens, les cartes en circulation dans la mouvance régionaliste contemporaine se cantonnent à l'intérieur du cadre des sept wilayas de Béjaïa, Tizi-Ouzou, Boumerdès, Bouira, Bord-Bou-Arreridj, Sétif et Jijel[16]. Dans une acception minimale, la Kabylie est parfois simplement assimilée à sa partie nord-occidentale, la Grande Kabylie, étendue jusqu'à l'ouest de Béjaïa pour englober la majeure partie de l'aire kabylophone actuelle[17].