Au milieu des années 1970, le sport en Algérie battait largement de l’aile et les résultats internationaux de différentes sélections étaient très aléatoires, souvent médiocres. Les clubs dits “civil” étaient structurellement défaillants et les moyens manquaient largement. Toute l’organisation du sport en Algérie était interpellée sans que l’autorité politique ne trouve le moyen de pallier l’obsolescence qui frappait la plupart des disciplines.
Le 19 juin 1977, au stade du 5 Juillet d’Alger, à la finale de la coupe d’Algérie entre la JS Kabylie et le NA Hussein Dey, l’hymne national est copieusement sifflé par les supporters kabyles en présence du président Houari Boumedienne et des membres de son gouvernement.
Dès les jours suivants, le défunt président, sans doute marqué par cet incident qui risquait, selon l’une de ses confidences, de mettre à mal la cohésion nationale, sollicitera un collège d’experts pour analyser la situation et proposer des solutions pour dépassionner l’atmosphère sportive et remettre le sport sur les rails du progrès. Une expérience originale et tout à fait inédite se concoctera en été dans des bureaux de la présidence de la République, avant que ne soit effectué un large remaniement ministériel dès la rentrée de septembre, qui verra l’inamovible ministre de la Jeunesse et des Sports de l’époque Abdellah Fadhel (1965-1977) céder sa place à un jeune diplomate du nom de Djamel Houhou.
Au premier Conseil des ministres de septembre, le ton est donné : le sport algérien connaîtra une réforme en profondeur. Cette décision vient à point nommé pour bouleverser complètement des structures surannées, une pratique à bout de souffle atteinte partiellement par le chauvinisme, la manipulation et les calculs clubards étriqués. Un communiqué fleuve du Conseil des ministres indiquait les mesures suivantes : Les associations auront une nature statutaire. Elles seront scindées en deux parties : l’Association sportive communale dite de type amateur (A.S.C.) et l’Association sportive de performance (A.S.P.) qui intéressera les clubs de l’élite. Les associations sportives communales formeront la composante du sport dit de masse. Elles seront prises en charge par les APC ou, pour certaines d’entre elles, par des structures étatiques de différents secteurs (santé, justice, douane, université, entreprises publiques moyennes, etc.).
Les autres clubs huppés de la division une participeront à une compétition d’élite et se pareront du statut d’association de performance formées d’athlètes dits de performance. Les sportifs qui s’y affirmeront, (notamment au niveau des équipes nationales) se verront décerner le statut d’athlètes de haute performance et se verront leurs émoluments relevés. Les ASP seront ainsi parrainées par les plus grandes sociétés nationales, telles que Sonatrach, la Société nationale de sidérurgie (SNS), la Société électronique Sonacat, la CNAN, etc. Comme il n’existait pas en ce temps-là de primes à la signature de la licence et que les effectifs des clubs étaient assez correctement stabilisés, les athlètes étaient intégrés à l’entreprise et y bénéficiaient d’une formation professionnelle adéquate, afin de jouir d’un profil de carrière en vue de les rassurer sur leur avenir. Il est évident qu’avec la force financière colossale dont se caractérisaient les grandes sociétés nationales, monopolistiques de leur secteur d’activité, les budgets des clubs devenaient conséquents et étaient gérés par des cadres de l’entreprise, nouveaux dirigeants à la compétence incontestable. Le plus douloureux dans cette opération d’envergure fut le changement partiel de sigle de tous les clubs dits civils. Sous la houlette d’une centralisation du pouvoir au sein du ministère de la Jeunesse et des Sports, celui-ci allait d’autorité dénaturer le siglage et le rendre conforme avec son nouveau “logeur”, à savoir la société nationale de parrainage. Il y était notamment fait interdiction de se déclarer ou de faire référence à une région donnée. Des dénominations franchement à la limite du farfelu allaient naître comme la jeunesse sportive Kawkabi (JSK), Mouloudia des pétroliers d’Alger (MPA, ex MCA), Raed Solb de Kouba (RSK, ex RCK), Jil Sakakine Bordj Menaiel ([JSBM), Milaha Athletic d’Hussein Dey (Mahd, ex Nahd ), union sportive de la kahraba d’Alger (USKA, ex USMA) et on en passe ...
Une nette désaffection du public se fait immédiatement ressentir, ce qui a pour effet de dépassionner la compétition et de permettre aux clubs de mieux être en phase avec des actions de formation puisqu’il était fait obligation aux ASP d’ouvrir des écoles de sport (chaque association de performance avait en charge plusieurs disciplines) et de consentir un meilleur investissement aux jeunes catégories. Une saison plus tard, à la faveur des résultats encourageants que commençait à générer cette politique, le public reprendra le chemin des enceintes sportives. C’était le début de la période dorée du sport national. En 1978, l’Algérie survolera des Jeux africains relevés qu’elle a eu à organiser sur son sol. Des performances qu’elle confirmera un an plus tard aux Jeux méditerranéens de Split. Le football en a été l’hirondelle (troisième place après avoir fait sensation en demi-finale face à la Yougoslavie).
Le football fort d’un amalgame de joueurs jeunes et talentueux et de moins jeunes ira de victoire en victoire (Coupes d’Afrique, bonne tenue en Coupe du monde 1982 et 1986 ). Les autres disciplines n’étaient pas en reste puisque tant le handball (cinq couronnes africaines consécutives) que la boxe ou l’athlétisme pour ne citer que ceux-là connaîtront leurs heures de gloire. Entre-temps, Houari Boumedienne n’était plus là pour récolter les fruits d’une révolution sportive qui a redonné sa fierté au peuple algérien, que ce soit au niveau continental qu’international.
Déchargé des pesanteurs négatives, fort d’une volonté politique à toute épreuve et de la couverture des moyens de l’Etat, la reforme sportive a donné des fruits délicieux durant les années 1980. Cette politique sera malheureusement abandonnée au lendemain des émeutes d’octobre à cause d’une réorientation de la politique économique nationale sous Chadli Bendjedid sonnant du coup le déclin du sport national. Les sociétés déstructurées et en pleine difficulté allaient se séparer progressivement des clubs les abandonnant à leur sort. Le sport algérien rentrera dès lors dans un long tunnel duquel il n’est pas sorti à ce jour